La pandémie de COVID-19 et l’opération de vaccination ont prouvé que lorsqu’on dispose de données en santé fiables, on peut vite mettre en place des mesures efficaces. Alors que des consultations publiques viennent de se tenir au Québec sur la gestion de ce type de données, examinons ce qui ne tourne pas rond en la matière.
Imaginez un réseau hospitalier qui n’utilise pas la même nomenclature que les hôpitaux du reste de la planète pour identifier les tests de laboratoire. Pire : dans chaque hôpital de ce réseau, des codes différents sont employés. Digne de la « maison qui rend fou » de la célèbre BD Les Douze Travaux d’Astérix. C’est pourtant la situation qui prévaut au Québec.
«Des terminologies internationales existent pour désigner sans ambiguïté des tests de laboratoire, incluant ceux utilisés dans le dépistage de la COVID. Au Québec, chaque hôpital a créé ses propres codes, ce qui a mis du sable dans l’engrenage dans la gestion des données!» s’insurge Philippe Després, responsable des données massives en science de la santé au Centre de recherche du CHU de Québec–Université Laval, chercheur membre de l’Institut Intelligence et données et directeur adjoint du Centre de recherche en données massives de l’Université Laval.
Ce n’est qu’un exemple de bâtons qui sont mis dans les roues de l’efficacité du réseau de la santé. De façon générale, il est très difficile de valoriser les données clinico-administratives (durée et raison des hospitalisations, entre autres), c’est-à-dire de les utiliser pour améliorer les soins et leur organisation. Ces données sont pourtant nécessaires pour créer des outils, des traitements et des programmes adaptés aux besoins des patients.
«C’est la base! Par rapport à d’autres secteurs d’activité, le domaine de la santé est en retard de 40 ans en ce qui a trait à l’exploitation des données», mentionne M. Després, qui ajoute que l’accès aux données est aussi capital pour évaluer l’efficacité d’un traitement et pour faire de la recherche.
Pourquoi sommes-nous à la traîne?
Ce retard, Philippe Després l’attribue à une lourdeur bureaucratique, mais aussi à des enjeux d’imputabilité. «Il y a un peu une mentalité voulant que si les données montrent qu’on n’est pas bons, aussi bien ne pas en avoir. Sans compter que plus de données égale plus d’imputabilité.» Il donne en exemple le Dossier santé Québec, qui contient une mine d’or d’informations mais qui ne peut pas être utilisé pour faire de la recherche ou évaluer les pratiques médicales.
Une dimension culturelle expliquerait aussi pourquoi le Québec tire de la patte. «Ici, on a probablement surprotégé les renseignements personnels, dans le sens où la composante individuelle pèse souvent plus lourd dans la balance que les bénéfices collectifs.» Les lois qui permettent l’accès aux données ne sont plus adaptées au contexte actuel : il est possible de valoriser les données tout protégeant les renseignements personnels.
Selon lui, il y a un gros ménage à faire. Et on doit l’amorcer en mettant des gens qui connaissent la gestion de données en position d’autorité. «L’informatique en santé est surtout l’affaire de quelques compagnies qui prennent les données en otage : il faut payer pour y avoir accès et les exploiter. Il y a de gros lobbys. Et personne ne s’insurge de ça», déplore-t-il.
Philippe Després attend donc beaucoup du projet de loi 64 (sur la glace pour l’instant), dans la foulée de consultations qui ont eu lieu en juillet-août et dont l’objectif est de faciliter l’accès aux données et leur gestion. S’attend-il à une résistance de la part des Québécois? «Non, en général ils sont d’accord pour que leurs données soient utilisées pour améliorer le système de santé, mais ils veulent savoir à quoi elles serviront. Ils veulent juste de la transparence.
Ressources
Mémoire présenté dans le cadre du processus de consultation entourant la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation 2022, 5 pages, Philippe Després, 2021. : https://lasantedurable.ca/wp-content/uploads/2021/09/memoire-_philippe-despres_-sqri2022.pdf
Projet de loi 64 : Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels: http://m.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-64-42-1.html
Communiqué sur la consultation : https://www.msss.gouv.qc.ca/ministere/salle-de-presse/communique-3048/
Reportage « Aide-mémoire : Des données trop bien gardées? » sur l’accès aux données publiques en santé présenté à Radio-Canada le 28 mars 2021 : https://ici.radio-canada.ca/tele/decouverte/site/segments/reportage/349128/acces-donnees