La conception de la douleur évolue peu à peu chez les professionnels de la santé. Une nouvelle définition du terme en témoigne.
Pour que la douleur d’un patient soit considérée réelle, mieux vaut que des preuves tangibles fournies par imagerie médicale ou par des tests physiologiques viennent appuyer ses dires. Parce qu’encore aujourd’hui, en absence de telles preuves, la douleur peut être vue comme une invention, une exagération ou un problème «entre les deux oreilles».
«Cette conception, qui peut conduire à la stigmatisation des personnes souffrant de douleurs chroniques, est dépassée. La nouvelle définition de la douleur énoncée par l’International Association for the Study of Pain (IASP) contribuera, entre autres, à mieux faire comprendre la dimension psychologique du phénomène de la douleur», estime Kadija Perreault, professeure au Département de réadaptation de l’Université Laval et chercheuse au Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et en intégration sociale.
La professeure Perreault compte au nombre des onze professeurs universitaires qui signent, dans la revue Physiotherapy Canada, un article de réflexion sur la nouvelle définition de la douleur rendue publique en 2020 par l’IASP. «La définition précédente, qui datait de 1979, accusait un retard sur les avancées de la recherche dans le domaine, souligne-t-elle. Nous sommes passés d’un modèle biomédical de la douleur, reposant sur la présence de dommages mécaniques ou physiologiques aux tissus, à un modèle biopsychosocial qui reconnaît que la douleur comme le résultat d’interactions entre des composantes biologiques, psychologiques et sociales.»
Avoir mal est souvent la cause première de consultation chez les physiothérapeutes, rappelle la chercheuse. «Même si la douleur a des assises physiques, elle ne se limite pas à la perception des signaux douloureux. C’est une expérience subjective qui dépend, entre autres, du contexte personnel et social dans lequel elle s’exprime. Par exemple, si je fais une mauvaise chute sur la glace qui me force à m’absenter du travail, mon expérience de la douleur sera différente si je n’ai pas d’assurance invalidité, si mon employeur m’appelle continuellement pour que je revienne au travail, si les comptes impayés s’accumulent et si je dois attendre des mois sur une liste d’attente pour recevoir des traitements de physiothérapie dans le réseau public. Ces stress sont des facteurs qui peuvent favoriser la persistance de la douleur en agissant sur le système nerveux.»
« Même si la douleur a des assises physiques, elle ne se limite pas à la perception des signaux douloureux. C’est une expérience subjective qui dépend, entre autres, du contexte personnel et social dans lequel elle s’exprime. »— Kadija Perreault
La nouvelle définition de la douleur formulée par l’IASP ne viendra pas révolutionner la pratique quotidienne de la physiothérapie, mais elle participe à l’évolution de la compréhension du phénomène chez les professionnels de la santé. La place occupée par la douleur dans la formation universitaire contribue aussi à ce changement. «Il y a quelques années, une étude avait montré que les étudiants en médecine vétérinaire suivaient plus d’heures de formation sur la douleur que les étudiants en sciences de la santé. Il y a eu une prise de conscience et les programmes ont été adaptés depuis. Par exemple, le programme de physiothérapie de l’Université Laval comprend un cours de deuxième cycle entièrement dédié à la douleur», signale la professeure Perreault, qui a contribué à la mise sur pied de ce cours.
La formation continue offerte aux physiothérapeutes a elle aussi été adaptée pour faire plus de place au phénomène de la douleur. «Les physiothérapeutes jouent un rôle pivot pour prévenir la persistance de la douleur chez leurs patients. Pour jouer ce rôle efficacement, ils doivent bien comprendre ce que vivent leurs patients et les répercussions de la douleur dans leur vie. Ils doivent aussi aider leurs patients à comprendre que leur douleur est le résultat d’interactions entre plusieurs facteurs», souligne la professeure.
« Il y a quelques années, une étude avait montré que les étudiants en médecine vétérinaire suivaient plus d’heures de formation sur la douleur que les étudiants en sciences de la santé. Il y a eu une prise de conscience et les programmes ont été adaptés depuis. »— Kadija Perreault
La meilleure compréhension que nous avons de la douleur a favorisé la mise au point d’interventions interdisciplinaires plus efficaces pour aider les patients aux prises avec des douleurs chroniques, constate-t-elle. «On sait mieux ce qu’on doit faire, mais malheureusement, il y a de longues listes d’attente pour ces services dans le réseau public. L’iniquité d’accès à ces traitements est problématique. À défaut de pouvoir référer leurs patients à de tels services, les médecins recourent souvent à la prescription de médicaments qui peuvent apporter un soulagement de la douleur, mais qui ne règlent pas nécessairement le problème.»
Ressources
L’article de réflexion sur la nouvelle définition de la douleur rendue publique en 2020 par l’IASP : https://utpjournals.press/doi/10.3138/ptc-2020-0124-gef.
Profil de la chercheuse Kadija Perreault au CIRRIS de l’Université Laval : https://www.cirris.ulaval.ca/researchers/kadija-perreault/.
Kadija Perreault dirige également l’équipe Accès Réadapt : Améliorer l’accès à des services de réadaptation physique dans une perspective de santé durable, un initiative financée dans le cadre du Programme de soutien aux projets structurants en santé durable de l’Alliance santé Québec.