Plus que jamais, les organisations auraient intérêt à implanter une culture qui favorise la santé psychologique, le bien-être, l’engagement et la performance
En cette ère de pandémie, le monde du travail traverse une zone de fortes turbulences. Le télétravail massif, par exemple, a amené les employés et leurs familles, de même que les organisations, à faire preuve de beaucoup d’adaptation et d’ingéniosité depuis deux ans. Les chercheurs ont par ailleurs constaté que, durant cette période et de manière générale, la charge de travail et le temps passé devant les écrans ont augmenté. Cette surcharge serait maintenant généralisée. Côté revenus, l’écart entre les riches et les pauvres s’est beaucoup plus agrandi tandis que les augmentations de salaire n’ont pas nécessairement suivi l’inflation. Sur le plan psychologique, les années de pandémie ont exacerbé l’anxiété de performance des individus.
«Dans ce contexte très particulier, la notion de reconnaissance au travail prend tout son sens», affirme le professeur associé au Département de management de l’Université Laval et spécialiste de la reconnaissance au travail, Jean-Pierre Brun. Selon cet expert-conseil associé chez Empreinte humaine, cette notion constitue un enjeu essentiel dans la vie du travailleur puisque, selon de nombreuses études, la reconnaissance favorise la santé psychologique, le bien-être, l’engagement et la performance au travail. «Je définis la reconnaissance comme un sport de contact, dit-il. On a besoin d’échanger avec les gens.»
Le lundi 21 mars, le professeur Brun a accordé un entretien en ligne à Steeven Bernier, chargé d’enseignement à la Faculté des sciences infirmières, dans le cadre de la Semaine de la reconnaissance 2022. Co-auteur du livre Le pouvoir de la reconnaissance au travail, paru en 2018, il a reçu pour cette publication le prix Reconnaissance RH – Livre de l’année, remis par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec.
Plus que de la reconnaissance, de la considération
Les formes classiques de la reconnaissance au travail vont de l’augmentation de salaire aux nominations et au mentorat, en passant par les félicitations, les remerciements et les bravos, ce que le professeur appelle de la gratitude. «On constate, explique-t-il, que la rémunération ne joue pas tellement sur la reconnaissance, mais qu’elle joue beaucoup sur la satisfaction. Ce n’est pas nécessairement un élément de motivation. On n’est pas motivés chaque jour en fonction du salaire ou de la prime que l’on reçoit.»
Quels aspects de votre travail ont été reconnus par votre employeur? Cette question, Jean-Pierre Brun l’a posée maintes fois dans ses recherches. Les réponses allaient de la qualité du travail accompli, à un effort particulier, à une innovation ou à la rigueur apportée dans certains dossiers. «La grande majorité des gens, pour être heureux, ce qu’ils veulent, c’est bien faire leur travail, poursuit-il. À partir du moment où cela est reconnu, cela nourrit le plus l’âme, beaucoup plus que simplement se faire dire: tu as atteint les objectifs, tu as respecté le budget cette année. Les employés sont contents que ces aspects soient reconnus, mais ce ne sont pas les éléments de satisfaction premiers. Être le plus près possible de la personne, c’est ce qui fait du bien en matière de reconnaissance.»
Dernièrement, le professeur a rencontré une équipe de direction d’une organisation parapublique québécoise dans le but de réfléchir sur la reconnaissance au travail. Les participants ont dit apprécier être reconnus par une prime au rendement ou par un merci de temps en temps. Mais ils ont surtout insisté sur des aspects tels que la participation aux décisions, la consultation et l’information ou l’implication dans de nouveaux projets.
«Les gens ne veulent pas seulement de la gratitude, des mercis, des bravos, dit-il. Si tu n’es jamais consulté, si on ne demande jamais ton avis, si tu n’es jamais impliqué dans des défis nouveaux, tu vas ressentir de la non-reconnaissance, même si on te dit merci. Aujourd’hui, dans mon approche, je vais plus loin que la reconnaissance, je parle de considération. Ce sont les éléments qui permettent non seulement de voir si notre travail est apprécié, mais aussi d’avoir une place dans la vie des organisations aux niveaux de la participation, de la consultation et de l’information.»
Le rapport au travail a changé
Le monde du travail est en mutation. L’emploi a progressé dans plusieurs domaines et les travailleurs changent d’employeur plus régulièrement. Pour Jean-Pierre Brun, il faut comprendre que le travail n’occupe plus la place qu’il occupait autrefois dans la vie des gens. Un sondage, réalisé en France il y a une trentaine d’années, révélait que le travail était essentiel dans la vie de 80% des répondants. Ce pourcentage était tombé à 23% il y a quelques semaines, dans un sondage mené en France et axé sur la même question. «Dans le monde actuel et chez les nouvelles générations, soutient-il, les gens prennent en considération beaucoup de facettes. Le rapport au travail a changé. Avant on disait “mon emploi”. On dit désormais “ma vie”.»
Selon le professeur, engager un nouvel employé ne se limite plus à lui remettre un exemplaire de la convention collective et de la description de tâche. «Il faut lui montrer en quoi ce travail et cette organisation sont intéressants, parce que les attentes sont là aujourd’hui», affirme-t-il.
La posture managériale distingue l’entreprise qui offre davantage de reconnaissance qu’une autre. Ainsi, certains gestionnaires se limitent au contrôle, à la surveillance, à la reddition de comptes et aux résultats. D’autres incluront dans leurs tâches de la bienveillance, de l’empathie, de la volonté d’aider les employés à grandir dans l’organisation, toujours dans une perspective de performance.
Selon lui, instaurer une culture de la reconnaissance est une responsabilité partagée. Cette reconnaissance peut s’exprimer de manière verticale entre le gestionnaire et l’employé, de manière externe lorsqu’un patient ou un client témoigne de sa satisfaction à la personne, de manière horizontale entre collègues et de manière personnelle en étant fier et satisfait de son propre travail.
«La reconnaissance externe est importante, peu importe de qui elle vient, souligne Jean-Pierre Brun. C’est elle qui permet de confirmer qu’on a une identité, un lien social. Se dire qu’on est bon et qu’on est seul à se le dire n’est pas suffisant. Quant à la reconnaissance entre collègues, elle va devenir beaucoup plus importante avec l’arrivée des nouvelles générations. On a un devoir humain de partager cette reconnaissance entre collègues. C’est important aussi, comme employé, de reconnaître le travail des gestionnaires, qui n’en reçoivent pas beaucoup. Ils travaillent fort, ils ont à cœur leur équipe. Ils mériteraient certainement d’être un peu plus reconnus.»
La reconnaissance au travail demeure un défi pour beaucoup d’organisations. Selon le professeur, le problème est que la reconnaissance est trop souvent vue comme une plainte plutôt que comme un élément d’amélioration à mettre en place. «Souvent, explique-t-il, les organisations n’osent pas trop aborder ce sujet parce qu’elles ont peur d’ouvrir une boîte de Pandore et que les employés arrivent avec des demandes exagérées, alors que c’est rarement le cas.»
Ressources
Pour tout savoir sur les travaux de Jean-Pierre Brun en santé mentale au travail ou encore en analyse organisationnelle : https://www4.fsa.ulaval.ca/enseignant/jean-pierre-brun/
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