L’analyse des données conservées dans les dossiers médicaux des Québécois pourrait amener une meilleure gestion des soins de santé, mais les citoyens sont-ils prêts à y consentir?
Grâce aux mégadonnées, il serait aujourd’hui possible de créer de nouvelles hypothèses, d’obtenir des réponses et de tirer des conclusions pour améliorer la santé globale des citoyens à partir des renseignements contenus dans leurs dossiers médicaux. Ces données confidentielles ont longtemps fait l’objet d’une protection serrée, mais ne serait-il pas temps de changer de cap et d’utiliser ces informations de manière sécuritaire et éthique?
Pour ce faire, l’adhésion de la population est essentielle. En mai 2021, l’initiative Accès aux données de la Table nationale des directeurs de la recherche, coordonnée par le Centre de recherche du CHUM et le Fonds de recherche du Québec – Santé, a mis sur pied le groupe de travail « Acceptabilité sociale et citoyenne de l’accès et de l’utilisation des données de santé ». Son but: comprendre ce qui freine l’adhésion citoyenne et favoriser l’acceptation sociale du projet.
Afin d’approfondir les questions liées à ce sujet, plusieurs membres de ce groupe se sont joints à d’autres experts lors du colloque Bâtir l’acceptabilité sociale et citoyenne de l’accès et de l’utilisation des données de santé, organisé dans le cadre du Congrès de l’Acfas. Cette rencontre s’est tenue en l’honneur du regretté professeur de l’Université Laval François Laviolette, qui s’est personnellement engagé – en tant que spécialiste des données massives et en tant que patient partenaire – dans la quête d’un pacte social sur l’usage des données de santé.
Que pense la population?
Le colloque s’est ouvert sur un vox pop réalisé dans les rues de Montréal. On sondait l’opinion des passants sur l’usage des données de santé. Selon Guy Poulin, patient-partenaire et l’un des invités à la première table ronde de la journée, ce vox pop montre ce qu’il a lui-même observé dans la société: peu de personnes sont radicalement opposées à cette utilisation. «Les gens sont très ouverts, dit-il, mais ils sont aussi craintifs. Leurs préoccupations tournent essentiellement autour de trois pôles: l’obligation d’obtenir le consentement du patient, la sécurité des données et l’utilisation éthique des informations personnelles. Il y a un rendez-vous possible avec la population, mais seulement sous certaines conditions.»
« Les préoccupations tournent essentiellement autour de trois pôles: l’obligation d’obtenir le consentement du patient, la sécurité des données et l’utilisation éthique des informations personnelles. » — Guy Poulin, patient partenaire
Selon les experts, il convient d’agir avec compassion et de tenir compte de ces craintes, car elles sont tout à fait légitimes. «Par exemple, même si les données sont anonymisées, le risque que des patients puissent être identifiés ne sera jamais nul. Il faut être transparent et bien expliquer les risques à la population. Les minimiser ou être paternaliste n’aidera certainement pas à instaurer un climat de confiance. Au contraire, il faut bien informer les gens et ne pas oublier qu’informer ne signifie pas convaincre», a affirmé Joël Leblanc, journaliste scientifique.
Comment rassurer les citoyens ?
Pour gagner la confiance de la population, plusieurs solutions ont été proposées. L’une d’elles serait d’adopter une charte des données numériques, qui établirait clairement, par exemple, à quoi serviraient les données, qui pourrait les consulter, où elles seraient entreposées et quand elles seraient détruites
« Un stockage des données dans la province a une valeur plus grande que les coûts. » — Eva Villalba, experte en soins de santé axés sur la valeur
Une autre serait d’entreposer les données au Québec, plutôt que de faire une entente avec une grande compagnie étrangère. «Oui, nous ferions peut-être des économies à laisser Amazon entreposer nos données sur ses serveurs, mais un stockage des données dans la province a une valeur plus grande que les coûts. Dans un premier temps, ça renforce l’économie locale et, dans un deuxième temps, ça rassure la population», a indiqué Eva Villalba, experte en gouvernance et transformation des soins de santé, notamment en soins de santé axés sur la valeur.
Comment susciter l’adhésion?
Comme l’a montré le vox pop, les citoyens sont généralement favorables à l’emploi des données de santé si cet usage vise à faire progresser la science et à améliorer les soins. Par contre, ils s’opposent vigoureusement à l’exploitation mercantile de ces données. Selon les experts, l’acceptabilité citoyenne dépendra donc d’une bonne communication quant au but poursuivi.
«C’est incroyable de voir le paradoxe chez certains citoyens qui refusent que l’État ait accès aux données personnelles afin d’améliorer les services publics, mais qui acceptent, consciemment ou non, de partager sur Internet des informations personnelles, qui peuvent ensuite être utilisées à des fins commerciales. Ça démontre un manque de confiance envers les institutions publiques. Pour renverser la tendance, il faut préciser dans quel but seront utilisées les données et mentionner que leur exploitation contribuera au bien-être collectif», explique François William Croteau, spécialiste de la gouvernance urbaine.
Finalement, selon Guy Poulin, pour favoriser l’adhésion sociale, il faudrait faire davantage de place aux patients dans la gouvernance des données. «Dans le projet de loi 19, j’aimerais qu’on propose que les comités consultatifs soient composés d’autant de patients partenaires que de chercheurs. Les patients ne doivent pas être infantilisés. Au contraire, on doit faire équipe et coconstruire le système d’utilisation des données. Nous, les patients sommes prêts à nous impliquer. On a tous à gagner à participer ensemble à la création et à la gestion des solutions. L’acceptabilité citoyenne repose sur l’écoute et l’engagement», plaide-t-il.
Vers un pacte social
Dans les derniers mois de sa vie, le professeur Laviolette a œuvré, selon ses propres mots, à l’avènement d’«un pacte social sain et serein sur notre richesse collective que représente la donnée», «un pacte pour lequel il y aura confiance, transparence, littératie numérique suffisante et interprétabilité». Le professeur Pierre-Luc Déziel, de la Faculté de droit, a conclu le colloque en disant espérer que le legs de son collègue ne sera pas oublié et qu’il ouvrira la voie à l’acceptabilité citoyenne de l’usage des données de santé et, conséquemment, à toute une série de bienfaits pour la société.
« Un pacte social sain et serein sur notre richesse collective que représente la donnée » — François Laviolette, professeur au Département d’informatique et de génie logiciel