Cet homme au parcours singulier met son savoir expérientiel de la schizophrénie au service de la recherche en santé mentale
Le 8 décembre dernier, dans un amphithéâtre de l’Université de Bordeaux, un jury de soutenance de thèse était réuni pour entendre le doctorant Kévin-Marc Valéry présenter ses travaux sur la stigmatisation des personnes atteintes de schizophrénie. Dans le jury, côte à côte avec des sommités universitaires du domaine, se trouvait une figure au parcours singulier: Luc Vigneault.
« Je n’ai aucun diplôme universitaire, mais je vis avec la schizophrénie depuis plus de quatre décennies. J’ai été invité parce que mon savoir expérientiel de la maladie complémentait le savoir scientifique des autres membres du jury », explique-t-il.
La participation d’un patient partenaire à une soutenance de thèse pourrait bien être une première mondiale, estime Tania Lecomte, professeure à l’Université de Montréal, qui a présidé le jury à Bordeaux. Et cette participation n’était pas que symbolique. « Luc Vigneault a utilisé sa connaissance théorique et personnelle du sujet pour faire une critique très pertinente des travaux présentés. Je crois que pour certaines thèses, surtout celles qui touchent les personnes avec un trouble mental, le savoir expérientiel est clairement un atout », estime-t-elle.Le psychiatre et professeur à la Faculté de médecine de l’Université Laval, Marc-André Roy, qui collabore depuis plusieurs années avec Luc Vigneault, abonde. « Luc est un pionnier, un précurseur, tant sur le plan clinique que sur le plan de la recherche. Sa participation à un jury de soutenance de thèse envoie un message puissant aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, démontrant de façon très éloquente la reconnaissance de la valeur ajoutée de la perspective expérientielle dans le cadre des activités universitaires. »
« Sa participation à un jury de soutenance de thèse envoie un message puissant aux personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. » — Marc-André Roy
Depuis 2010, Luc Vigneault utilise son savoir expérientiel de la schizophrénie dans ses activités professionnelles de chargé de cours, de pair aidant dans des équipes multidisciplinaires de soins et de patient partenaire dans des équipes de recherche. Il fait notamment partie de l’équipe CAP-Rétablissement, du Centre de recherche CERVO de l’Université Laval.
«Le patient est l’expert des conséquences de la maladie sur sa vie, rappelle-t-il. C’est pourquoi certains chercheurs estiment maintenant qu’il est inconcevable de mener des travaux sur une maladie sans avoir une personne atteinte de cette maladie ou un proche aidant au sein de leur équipe. »
Connecter la recherche au patient
Il y aurait présentement une trentaine de patients partenaires qui s’impliquent dans divers projets de recherche en santé à l’Université Laval, estime Marie-Pierre Gagnon, professeure à la Faculté des sciences infirmières et chercheuse au Centre de recherche Vitam et au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval. Au cours de la dernière décennie, la chercheuse a elle-même mené une dizaine de projets dans lesquels des patients étaient membres de l’équipe.
L’idée que des patients puissent s’impliquer autrement qu’à titre de sujets d’étude existe depuis un bon moment en sciences humaines, rappelle-t-elle. «En sciences de la santé, cette idée a connu un essor dans les années 1980, avec l’arrivée du sida. Les personnes atteintes de cette maladie tenaient à ce que leurs idées soient prises en compte dans les programmes de recherche. Par la suite, le concept de patient partenaire s’est étendu aux personnes qui vivaient avec un problème de santé mentale et aux autochtones. Dans le domaine de la santé, il y a maintenant un mouvement de fond qui vise à impliquer les patients et les proches aidants dans les soins, la recherche et la gouvernance.»
Personne ne contestera le fait que l’expérience personnelle des patients est essentielle dans une démarche visant l’amélioration des soins. Par contre, la place du savoir expérientiel dans la conception, la réalisation, la publication et l’évaluation de travaux de recherche peut faire tiquer. D’une part, parce que les scientifiques valorisent les connaissances qui reposent sur leur propre mode d’apprentissage: de longues et exigeantes années d’études. D’autre part, parce que la méthode scientifique vise à produire des enseignements probants qui vont au-delà de l’expérience subjective personnelle.
« Ils nous connectent sur du concret, de sorte que les résultats des recherches ont plus de chance d’avoir des retombées sur la qualité des soins et, conséquemment, sur la qualité de vie des patients. Marie-Pierre Gagnon, au sujet de l’apport des patients partenaires
« Les patients partenaires apportent un point de vue unique et pertinent qui résulte de leur expérience personnelle avec la maladie et avec le système de santé, fait valoir la professeure Gagnon. Ils nous amènent à poser des questions de recherche qui sont directement liées à leur vécu et à leurs besoins. Ils nous connectent sur du concret, de sorte que les résultats des recherches ont plus de chance d’avoir des retombées sur la qualité des soins et, conséquemment, sur la qualité de vie des patients. »
Pour que la collaboration patients-chercheurs fonctionne rondement, il faut faire certains ajustements de part et d’autre, reconnaît-elle. C’est d’ailleurs pour faciliter cette synergie que la professeure Gagnon et deux patientes partenaires avec qui elle travaille, Mame Awa Ndiaye et Priscille-Nice Sanon, ont rédigé un guide à ce sujet.
« Il faut certaines qualités pour qu’un patient parvienne à faire sa place au sein d’une équipe de recherche, mais la volonté de s’impliquer et le désir d’apprendre constituent le point de départ. Avec un bon encadrement fourni par l’équipe de recherche, les autres qualités peuvent être développées avec le temps. »
Luc Vigneault confirme. « Je suis un meilleur patient partenaire qu’à mes débuts. Il faut du temps et beaucoup d’écoute pour comprendre comment fonctionne la recherche. Pour contribuer à l’équipe, il faut avoir dépassé le stade du ressentiment par rapport à sa maladie et aux soins reçus. Il faut aussi comprendre que ce n’est pas le lieu pour la militance. »
« Toutes les souffrances que j’ai vécues ne sont pas vaines parce que j’en fais quelque chose d’utile aujourd’hui. »— Luc Vigneault, au sujet de son travail au sein des équipes de recherche
Les équipes dont il est membre profitent de son savoir, mais Luc Vigneault admet qu’il retire beaucoup de ses collaborations avec les chercheurs. « À 17 ans, on m’a dit que j’étais schizophrène et que jamais je ne pourrais travailler ou mener une vie normale. J’ai été interné à plusieurs reprises par la suite. Comme les autres personnes qui vivent avec la maladie mentale, j’ai été victime de stigmatisation sociale. Vous comprendrez que faire partie d’une équipe de recherche est une immense source de fierté pour moi. Toutes les souffrances que j’ai vécues ne sont pas vaines parce que j’en fais quelque chose d’utile aujourd’hui. Ma participation à un jury de soutenance de thèse est l’ultime consécration. Je souhaite que tous les gens qui vivent avec la maladie mentale y voient un message d’espoir. C’est une victoire au nom de tous les miens. »
Ressources
Les personnes intéressées à se joindre à des équipes de recherche à titre de patient partenaire ou de citoyen partenaire trouveront des informations à ce sujet sur le site d’Alliance santé Québec.