Prévenir les blessures morales

15.06.2021  -  
Raymond Poirier

Comment détecter, et surtout prévenir, les blessures morales des travailleuses et travailleurs de la santé engendrées par la pandémie de COVID-19?

Prédire, prévenir et contrôler les blessures morales chez les travailleurs et les leaders du secteur de la santé qui affrontent la pandémie de COVID-19, voilà l’essence d’un projet de recherche piloté par des équipes de l’Université Laval et de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), qu’ont pu découvrir les participants de la première présentation de TechSantéQC, les 11 et 12 avril, dans le cadre de la Semaine numériqc.

On le sait: au fil de la dernière année, la COVID-19 a amené son lot de stress dans la vie de tous les jours, tant dans la sphère personnelle que professionnelle. Peu de milieux d’emplois ont toutefois subi les répercussions de la pandémie autant que celui de la santé, où des enjeux existants ont été exacerbés et où de nouveaux facteurs de stress ont fait leur apparition, tels que le manque de matériel de protection, le risque de contamination, l’intensification et la réorganisation du travail, sans oublier le suivi de patients susceptibles de développer des complications ou de décéder. «Dans certains cas, le personnel de santé a été confronté à des conflits éthiques, à des situations où ils et elles n’étaient pas en mesure de donner des soins optimaux à leurs patients, en raison de différentes contraintes – une situation qui, chez eux, a pu engendrer des conflits de valeur, des blessures morales», explique Manon Truchon, professeure à l’École de psychologie de l’Université Laval, et coresponsable du projet aux côtés de Mahée Gilbert-Ouimet, professeure au Département des sciences de la santé de l’UQAR.

Conflits de valeur

Le concept de « blessure morale » a, pour l’essentiel, été étudié chez les militaires. Cette réalité suscite son lot d’intérêt en santé, mais pour le moment, il semble avoir été exploré plutôt sous l’angle de la « détresse morale ».

« Quand on regarde les deux champs de littérature, on voit qu’il y a certaines similitudes, mais de façon précise, lorsqu’on parle de blessure morale, on identifie une réalité qui peut survenir suite à une situation qui engendre un conflit de valeur chez une personne, qui transgresse son code moral», explique la chercheuse. Par exemple? Lorsqu’un individu est amené à poser des actes avec lesquels elle n’est pas à l’aise, lorsque des collègues agissent de façon inappropriée ou encore dans la foulée d’une incapacité ou d’une impossibilité à réagir à une situation. «On peut penser, ici, à ces patients qui avaient besoin d’être nourris ou hydratés, mais auxquels des soins n’ont pu être offerts en raison du manque de personnel», indique Manon Truchon. Des situations qui chacune à leur manière, engendrent de la frustration, de la colère, de l’anxiété, de la culpabilité, de la honte, voire de la détresse. «Ça peut avoir des répercussions sur la santé psychologique, sur l’image de soi et même sur la spiritualité du soignant. Et s’il y a absence de prise en charge, alors on parle de risques d’épuisement professionnel, ce qui a des impacts tant sur la personne que sur son entourage. »

Mesurer le stress

Le projet de recherche porté par les professeures Truchon et Gilbert-Ouimet a obtenu un premier financement de six mois en janvier dernier, afin de leur permettre d’explorer et de pousser plus loin la compréhension du concept.

Les chercheuses tenteront ainsi de comprendre les facteurs pouvant contribuer à amoindrir les répercussions des événements associés aux blessures morales, autant que de prédire le risque de telles blessures ainsi que de définir des signatures biologiques associées aux mauvaises conditions psychosociales de travail. De surcroît, elles tenteront d’élaborer des directives préliminaires à l’intention des leaders de première ligne, synthétisant les pratiques organisationnelles susceptibles d’améliorer les conditions psychosociales du travail liées aux conflits éthiques et aux blessures morales. Différentes données seront recueillies – qualitatives, quantitatives et biologiques – permettant ainsi de mesurer, de différentes façons, les indices et marqueurs associés au stress chez le personnel soignant. «Par exemple, en collaboration avec des chercheurs du Centre CERVO, on va mesurer des marqueurs biologiques afin de vérifier si on peut définir une signature particulière lorsque des individus sont soumis à du stress chronique en environnement de travail.»

« On espère qu’en combinant les connaissances qu’on a accumulées dans notre domaine à d’autres spécialités, on va arriver à mieux soutenir les environnements de travail sur le plan individuel, organisationnel et psychologique, pour à terme, réduire les coûts humains et structurels associés au stress au travail, et cela, tout particulièrement dans le domaine de la santé », conclut Manon Truchon.

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